A Horndal, village au centre de la Suède, Furkan et sa famille doivent faire face à une énigme médicale qui bouleverse leur quotidien. Les deux filles aînées, Ibadeta et Djeneta, ont sombré dans le coma l’une après l’autre, quand la demande d’asile de la famille a été rejetée. Cette apathie profonde porte un nom, le « syndrome de résignation ». Cet état est comparé à la réaction de « freezing » de certains animaux qui, exposés à un danger, font le mort.
La réalisatrice genevoise Dea Gjinovci s’est intéressée à cette étrange affaire après avoir lu dans le New Yorker le reportage d’une journaliste qui avait rencontré en Suède de nombreuses familles victimes de ce syndrome. La photo qui illustrait l’article représentait deux jeunes filles endormies, telles des Belles au Bois dormant, Ibadeta et Djeneta.
Ce reportage bouleverse la réalisatrice qui veut en savoir plus et décide de se rendre en Suède. Elle en fera un documentaire, aussi touchant que beau, « Réveil sur Mars », à découvrir en streaming jusqu’à jeudi dans le cadre des Journées de Soleure.
« J’ai rencontré d’autres familles atteintes du même mal. J’ai choisi celle-ci parce que je parle albanais. Il était important pour moi de pouvoir communiquer sans traducteur pour instaurer la confiance et avoir accès à leur intimité », explique à la RTS la réalisatrice.
Un frère cadet qui rêve de Mars
Pendant des semaines, elle filme cette famille, prêtant une attention toute particulière au frère cadet, Furkan, dix ans, passionné d’astronomie, qui s’est donné pour mission de construire une fusée pour emmener ses sœurs vers Mars, loin de leurs tourments. « Furkan est un enfant qui a énormément intériorisé la souffrance que ses sœurs ont vécue. Il pouvait traduire ce qu’elles ne pouvaient pas dire », précise la réalisatrice que le thème de l’exil passionne, comme en témoigne son premier film « Sans le Kosovo » qui racontait l’histoire d’un étudiant de Pristina contraint de fuir son pays.
Au-delà de ce cas particulier, « Réveil vers Mars » interroge notre rapport à l’exil. « Quand les enfants ont été traumatisés dans leur pays d’origine, l’arrivée dans un pays d’accueil est un grand moment de sécurité pour eux, ils se sentent mieux. Mais quand ils se voient refusés d’y rester, tous les traumatismes d’origine reviennent », dit encore Dea Gjinovci qui a interrogé de nombreux médecins et psychiatres pour savoir pourquoi ce syndrome était suédois.
D’autres cas ont été constatés, notamment en Australie ou à Lesbos, mais en Suède, ce syndrome a été diagnostiqué depuis dix ans, avec un vrai suivi médical ». Dea Gjinovci, réalisatrice de « Réveil sur Mars »
Un réveil après cinq ans
La réalisatrice avait déjà monté son film quand elle a appris que Ibadeta et Djeneta s’étaient réveillées, à six mois d’intervalle, après cinq ans de coma pour l’une et trois pour l’autre, quelques semaines après que la famille a reçu un permis provisoire. Le film se termine avec la photo des deux jeunes filles revenues à la vie. « On ne voulait pas retourner en Suède pour les filmer. Cela aurait été un peu artificiel, mais je voulais donner l’espoir ».
Dea Gjinovci est néanmoins retournée à titre personnel dans la famille et les deux jeunes femmes l’ont reconnue à la voix. « Durant tout ce temps, elles étaient conscientes. Elles m’ont dit qu’elles ressentaient de l’apaisement quand il y avait du monde autour d’elle mais que dès qu’on s’éloignait, elles éprouvaient un sentiment de solitude extrême, abandonnées à leur propre univers ».